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LE DROIT DU TRAVAIL HAITIEN, UN DROIT NATIONALISTE ?

Avec la crise diplomatique liée à la rivière Massacre entre la République dominicaine et la République d’Haïti, les discours nationalistes fusent de tous côtés. L’heure est à la solidarité entre Haïtiens pour défendre la souveraineté et l’utilisation légale de la rivière commune à des fins de production nationale. Si le nationalisme est une idéologie politique et culturelle qui met l’accent sur la promotion et la défense des intérêts, de l’identité et de la souveraineté d’une nation, cela devrait relever de l’affaire de l’État, de la politique publique encadrée par la loi. Il semble que la législation puisse elle-même être teintée de nationalisme. La législation haïtienne sur le travail est-elle nationaliste ? Je partage avec vous une conférence que j’ai donnée sur cette question à la Faculté d’Ethnologie dans le cadre du cours de sociologie du travail.

De la législation

Dès que l’on parle de nationalisme, on parle forcément d’étranger ou de puissance étrangère. En quoi le droit du travail haïtien puisse être nationaliste ou non ? En ceci qu’il traite des étrangers dans ses articles 306 à 315 des étrangers, plus particulièrement de la main-d’ œuvre étrangère ou travailleur étranger. Intégré dans le titre V et de la Loi n° 7 De la main-d’oeuvre soumise à un régime spécial, le travailleur étranger n’y est pas expressément défini. Nous pouvons néanmoins le définir de la manière suivante selon l’esprit de la loi comme : tout travailleur qui n’est pas de nationalité haïtienne.

Article 306 : De la Direction de la main-d’œuvre

Au sein du Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) il y a une direction qui a pour mission de contrôler le flux de travailleurs étrangers en Haïti. C’est la Direction de la main-d’œuvre. La présence de la main-d’œuvre étrangère est contrôlée par le permis de travail ou permis d’emploi. Permis qui est renouvelable chaque année jusqu’à concurrence de cinq années consécutives à l’appréciation de la Direction de la main-d’œuvre.

Articles 307 et 311 : De l’obtention du permis d’emploi

Pour obtenir le permis d’emploi, le travailleur étranger doit produire outre les documents habituels, mais surtout un certificat du Service de l’Inspection Générale du Travail attestant que le travailleur étranger n’exerce pas un métier ou une profession en compétition avec des travailleurs nationaux exerçant la même profession ou le même métier à compétence égale. Sans ce document, pas de permis et avec ce document, l’Etat haïtien contrôle en amont le marché du travail haïtien d’une invasion d’étrangers.

En plus de protéger le marché haïtien de travailleur étranger, le code du travail exige l’application stricte du principe à travail égal, salaire égal. Les travailleurs de nationalité haïtienne qui, dans une même entreprise ou un même établissement, exerceront des fonctions de même nature que les étrangers auront droit à une rémunération et à des conditions de travail égales. Le travailleur étranger n’a pas droit à des traitements de faveur relativement aux travailleurs haïtiens, s’il devrait y en avoir, elle aura pour fondement le travail accompli et non celui qui l’accomplit.

Article 312 : Des exceptions

Comme assez courant dans la législation, il y a des exceptions. Les étrangers qui peuvent travailler en territoire haïtien sans l’obligation de disposer du permis d’emploi sont les suivants :

  • Ceux qui sont détenteurs d’actions dans les entreprises nouvelles telles que définies par le décret du 13 mars 1963 ;
  • Ceux de l’un ou l’autre sexe qui sont mariés à un ressortissant haïtien et qui justifient de trois ans au moins des séjours ininterrompus dans le pays ;
  • Ceux qui résident dans le pays depuis au moins dix ans, ou bien qui sont au service d’un employeur lié à l’Etat par un contrat de travail ;
  • Les membres du clergé et le personnel des missions diplomatiques accréditées en Haïti ;
  • Le personnel des organismes internationaux.

Article 313 : Des engagements

Pour accorder le permis d’emploi à un étranger, il faut que celui-ci accepte d’exercer une activité pour laquelle il n’est pas possible de recruter sur place un travailleur haïtien ayant la compétence ou la formation professionnelle requise. On peut pousser l’interprétation au fait que dans des zones reculées du territoire où l’Etat ne dispose pas de compétences pour un travail donné, il soit permis à un étranger d’y travailler ou exercer sa profession.

Autre condition d’octroi du permis, le travailleur étranger devra s’engager à entraîner à cette tâche (celle dont il est le seul à posséder les compétences) un ou plusieurs travailleurs haïtiens, sous peine de retrait de son permis de travail. La volonté du législateur de protéger le marché du travail haïtien est telle que même au cas où la compétence n’existerait pas sur le territoire ou à un lieu quelconque de celui-ci, l’étranger qui reçoit son permis doit former les travailleurs haïtiens et ainsi pallier au problème de pénurie au niveau de cette compétence. Le travailleur étranger doit s’engager à faire disparaître les circonstances qui ont permis qu’il puisse travailler en Haïti.

Articles 314 et 315 : Des quotas

La quantité d’étranger pouvant travailler au sein d’une même entreprise est limitée par le code. Il existe donc un quota à respecter. Dans une entreprise, le nombre de travailleurs étrangers ne devra pas dépasser 5 % du personnel, que l’employeur soit haïtien ou étranger. De même, pour l’allocation de la masse salariale qui doit se répartir de la façon suivante : 70 % du montant global des salaires devront être payés à la main-d’œuvre haïtienne et 30 % à la main-d’œuvre étrangère.

Les spécifications requises pour tous les travaux à réaliser pour le compte de l’Etat haïtien, ainsi que les spécifications pour tous les contrats de concession ou d’affermage définiront un quota de travailleurs étrangers autorisés à être embauchés sur les chantiers ou dans les entreprises opérant en vertu de ces contrats.

Article 310 : Des sanctions

L’employeur qui embauche des employés étrangers est puni d’une amende parmi les plus sévères du code du travail : HTG 5,000.00 à HTG 10,000.00. Soit USD 1,000.00 à USD 2,000.00 en 1984 année de publication du code. Actuellement, avec un taux de HTG 135.00/$ 1.00 l’amende serait de HTG 135,000.00 à HTG 270,000.00 par rapport à la valeur du dollar de l’époque.

Un droit protectionniste

Le Droit du travail dans la logique d’une protection des intérêts de la nation est nationaliste et même protectionniste. L’employé haïtien n’est pas exposé à la compétition avec l’étranger dans son pays. La protection s’applique en amont et en aval. Elle utilise même l’étranger en le contraignant à s’engager à la formation des travailleurs haïtiens afin de ne plus avoir besoin de lui à l’avenir. Un quota est établi au sein des entreprises ou dans l’exécution de travaux publics. Ceux qui ne respectent pas les dispositions de la loi #7 sont sanctionnés sévèrement avec des amendes parmi les plus élevées du code. Toutefois, il y a quelques exceptions comme le personnel diplomatique, le clergé, les étrangers mariés avec des Haïtiens, etc.

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