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LES GENS DE MAISON : SERVANTES, GARÇONS DE COURS ET AUTRES TÂCHES SEMBLABLES

Beaucoup de gens de la classe moyenne et de l’élite économique haïtienne se paient les services d’une servante ou d’un gardien de cours. Ces gens-là nous permettent de vaquer tranquillement à nos responsabilités professionnelles et avoir le temps pour le loisir. Certains d’entre nous croient à tort que la situation de ces employés spéciaux n’est pas légiférée. Le Code du Travail dispose sur la question depuis sa publication le 24 février 1984 à travers le Titre V, Loi # VII, Chapitre I, articles 254 à 265. Une tentative de réformer le régime des « Gens de maison » a été initiée au début des années 2000 par madame Marie Laurence Jocelyn Lassègue alors Ministre à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (Elle a été installée le lundi 12 juin 2006). Elle s’est battue pour une reforme légale des conditions des gens de maison. Les conditions politiques et une revendication du Ministère des Affaires Sociales et du Travail ou encore un lobby camouflé, ont fait échouer ce plan. Douze ans plus tard, elle se bat encore pour cette cause. Man Lolo, comme on l’appelle chaleureusement, a fait une intervention sur la question à la FOKAL, comme invitée à la troisième édition du festival féministe de Nègès Mawon sous le thème « Rèv boukannnen ». Elle a donc inspiré cet article, mais aussi les questions qui lui ont été posées qui relèvent de l’ignorance des dispositions du Droit du Travail.
Pourquoi si peu de gens connaissent les dispositions de la loi sur le sujet ? Pourquoi la réforme du régime des gens de maison n’a pas abouti ? Comment l’étude du régime juridique des gens de maison pourrait répondre à ces interrogations ? A la dernière question, j’accroche l’hypothèse suivante : La faiblesse de l’autorité de l’Etat et les exigences faites aux patrons par les articles 254 à 265 relatifs aux travailleurs et travailleuses domestiques les a incitées à isoler ces dispositions au point de provoquer leur oubli. Je ne vais pas argumenter l’hypothèse qui n’est là que pour vous pousser à réfléchir, susciter des débats et au mieux, des recherches. Je vais m’arrêter sur ces exigences que je pense être la cause de cette méconnaissance de la loi. Vous informer ou vous rappeler de l’existence des dispositions légales sur les gens de maison est la mission de cet article. Il vise aussi à vous conduire vers une réflexion sur la condition réelle de ces gens et leur condition juridique.

Sa définition et ses caractéristiques

Dans le Code du Travail, les employés sont divisés en deux catégories : les employés généraux et les employés spéciaux. Ces derniers sont composés de deux sous branches que j’appelle les employés spéciaux codex et les employés spéciaux legis. Les legis sont ceux qui sont définis dans des lois connexes au Code tandis que les codex le sont dans le Code. Les gens de maison font partie de cette dernière catégorie d’employés spéciaux codex. Tout en correspondant à la définition générale d’employé (Un employé ou travailleur est toute personne qui s’engage à prêter ses services moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne physique ou morale de droit civil ou de droit privé. – Article 19 du CT), le concept de gens de maison répond aussi à sa définition propre : Les gens de maison sont ceux qui se consacrent de façon habituelle et continue aux travaux de nettoyage, de jardinage, d’entretien ou à tous autres travaux domestiques propres à un foyer ou à tout autre lieu de résidence ou d’habitation particulière ou dans une institution privée ou publique de bienfaisance et qui ne comportent ni bénéfice, ni opération commerciale pour l’employeur ou les membres de sa famille – Article 254 du CT.
Pour être un travailleur domestique, il faut répondre à quelques critères dont je vais vous faire l’exposé dans les lignes qui suivent :
  1. Il faut que l’activité soit habituelle et continue. Ce critère exclu les activités domestiques spontanées et limitées dans le temps. Le travail domestique n’est pas un travail à la tache ou à la pièce. C’est un travail nécessairement permanent.
  2. La nature de la tache écarte le travail domestique de la définition générale d’employé, ce qui est le cas de tous les employés spéciaux. Tandis qu’un comptable n’est pas différent d’un agent de sécurité ou d’une réceptionniste quant au statut d’employé, les gens de maison se différentient par des travaux de nettoyage, de jardinage, d’entretien.
  3. Pour être catalogué comme gens de maison, il faut que le lieu de travail ne soit pas utilisé à des fins de commerce ou susceptible de produire des bénéfices. Par conséquent, ceux et celles qui effectuent les mêmes travaux dans un établissement commercial, industriel ou agricole ne sont pas des travailleurs domestiques.  Et que ceux et celles qui travaillent, non pas dans des résidences mais des institutions de bienfaisance, sont des gens de maison.

Les obligations du patron

L’employeur a pour obligation envers le travailleur de maison de :
  1. Accorder au minimum et obligatoirement d’un repos absolu de dix heures par jour, dont huit au moins doivent être destinées au repos et deux aux repas;
  2. Accorder d’un repos supplémentaire d’une demi-journée, les dimanches et jours fériés chômés
  3. Autoriser (sans opposition du patron) sans diminution de salaire le travailleur de maison à fréquenter au moins trois fois par semaine les cours du soir d’alphabétisation ou de préparation professionnelle dispensés à leur intention
  4. Fournir l’assistance médicale et les médicaments prescrits pour toute maladie du travailleur, si elle est bénigne mais l’empêche de travailler pendant quinze jours au plus,
  5. Continuer de payer son salaire en entier au travailleur domestique malade, par suite de la contagion directe de l’employeur ou des personnes habitant la maison, jusqu’à son rétablissement total, ainsi qu’au paiement des dépenses que lui a imposées sa maladie.
  6. Payer un salaire minimum de 215 gourdes selon le récent Arrêté du 8 octobre 2018 en son article 4. Cependant avec la publication de la loi portant organisation et règlementation du travail sur la durée du travail de 24 heures réparties en trois tranches de huit heures dit loi 3-8, le salaire minimum n’est plus exprimé par jour mais par heure par conséquent, le salaire minimum des gens de maison est de 26.87 gourdes par heure.
  7. Se charger de faire hospitaliser le travailleur domestique à son service et prendre toutes les autres mesures d’urgence nécessaires et en aviser immédiatement les parents les plus proches.
  8. Assurer les frais raisonnables de l’inhumation du travailleur domestique décédé dans la maison de l’employeur par suite de sa maladie
Le législateur n’a fixé aucune obligation particulière pour les gens de maison. Il s’en remet à la subordination de celui-ci et aux pouvoirs du patron qui dirigeront les activités domestiques des employés. Cependant, le droit accordé au patron de demander s’il le souhaite un certificat de bonne santé oblige l’employé à le soumettre.

De la durée de travail

A la lecture de l’article 257, nous pouvons déduire que les gens de maison n’ont pas les mêmes horaires de travail que les autres employés avec leur repos absolu de dix heures au moins composé de deux pour le repas et huit au moins pour le repos. Ajoutons que par absolu, on entend que le travailleur domestique ne doit nullement être convoqué par le patron. La durée normale de travail des gens de maison est donc d’au plus quatorze heures par jour. A ces quatorze heures, il faut aussi enlever sept heures (une demi-journée) tous les dimanches et les jours fériés. Le travail passe donc à sept heures tous les dimanches et jours fériés. Des quatorze heures du lundi au samedi (quand il n’y a pas de jours fériés), il faut encore soustraire les heures consacrées à la fréquentation des cours du soir ou des formations professionnelles dispensés à l’intention des gens de maison. Le nombre d’heures d’étude n’est pas déterminé dans le Code, surement parce que le législateur prend en compte la variabilité des horaires de cours.

La résiliation des contrats de travail domestique

Le contrat de travail des gens de maison ne se résilie pas de la même façon que pour les autres employés. De principe, les contrats de travail se résilient après un préavis qui varie proportionnellement au nombre d’années de travail, sauf pour les cas prévus dans les articles 41 et 42 du Code. Selon l’article 264, le préavis n’augmente pas avec les années. Au-delà de trois mois de travail, il est de huit jours. Il rejoint le régime commun des préavis. Quand le patron ne veut pas donner le préavis, il indemnise le travailleur domestique de huit jours, plus le dernier salaire.

Résiliation et maladie du travailleur domestique

Le travailleur domestique peut résilier le contrat sans préavis en cas de maladie contagieuse ou infectieuse de l’employeur ou des personnes habitant la maison où sont prêtés les services domestiques. Ce pouvoir disparait dans les cas où s’il existe des traitements ou des mesures de prévention d’une efficacité établie. L’employeur a le même droit si c’est le travailleur domestique qui est atteint d’une maladie infectieuse ou contagieuse, à moins que celle-ci ait été contractée par contamination du patron ou membres de sa famille. Dans tous les cas de maladie du travailleur domestique, le patron peut résilier le contrat après quinze jours d’incapacité de travailler sur présentation d’un certificat médical. Cependant, il a l’obligation de payer au travailleur domestique une indemnité qui se calcule comme un préavis augmentant avec le nombre des années de service. Par contre, ce n’est pas un délai mais bien une indemnité qui se paie directement.
De trois mois à douze mois de service, 1 mois de salaire;
de un an à trois ans de service, 2 mois de salaire;
de trois ans à six ans de service, 3 mois de salaire;
et à partir de six ans de service, 4 mois de salaire.

Période d’essai

La période d’essai, cas très rare, n’est citée que deux fois dans le code du travail : dans l’article 75 sur le contrat d’apprentissage et l’article 264 concernant notre sujet. Elle n’a pas de forme particulière et répond au même régime que les trois mois avec possibilité de résiliation sans préavis de l’article 44 du Code. Elle permet  aux parties de mettre fin au contrat sans donner de préavis.

De la prescription

Le travailleur domestique dispose de trois ans, en cas de violation de ses droits, d’ester en justice. Passé ce délai, l’action sera prescrite.

Les silences du code

Harcèlement

Le silence total du Code du Travail sur le harcèlement moral et sexuel touche évidemment les gens de maison. Alors que cette catégorie spéciale, d’employé sont parmi celles qui sont les plus exposées à ce genre de risque étant donné leur intrusion nécessaire dans l’intimité des patrons et leurs familles. Si l’on peut subir des agressions sexuelles au bureau cela pourrait se révéler après étude être pire lorsque le lieu du travail est la maison du patron. Les femmes sont évidemment plus exposées que les hommes dans ce milieu. En plus du harcèlement sexuel du patron, il y a aussi celui des garçons de cour ou gardiens à l’égard des femmes de ménage ou servante. Le harcèlement moral quant à lui est mal connu ou méconnu dans notre société. Il fait cependant l’objet de plusieurs études scientifiques qui ont conclu à leurs conséquences sur la santé des employés comme le Burn Out. Là encore, les travailleurs domestiques sont en proie au harcèlement moral pour les mêmes raisons évoquées plus haut. Leur temps de travail étant plus long et le fait qu’ils sont parfois hébergés chez leurs patrons.

L’assistance maternelle

Les gens de maison apportent une aide considérable aux familles qui élèvent des nouveau-nés. Dans la législation française, le concept d’assistance maternelle décrit cette forme de travail domestique. Il exige des responsabilités supplémentaires vu qu’il s’agit d’enfants.

Les obligations du travailleur domestique

Les patrons des travailleurs domestiques ont de loin plus d’obligations envers leurs employés que l’inverse. La proximité naturelle du travail domestique n’expose pas seulement les gens de maison aux harcèlements de toute sorte mais aussi les patrons. Si ces derniers ne sont pas exposés aux harcèlements, ils le sont pour les vols, la maltraitance des nouveau-nés, etc. La subordination ne suffit pas en pareil cas.

Les souffrances d’application de la loi des gens de maison

Malheureusement, nous ne disposons pas d’étude sociologique sur l’application du Code du Travail dans le secteur des gens de maison. Il faudrait une comparaison entre les dispositions des articles 254 à 265 du Code avec les revenus moyens des ménages et le salaire minimum en vigueur comme celui de l’Arrêté du 8 octobre 2018. Le but est de trouver la moyenne des familles capables de s’offrir les services des gens de maisons. Les conditions économiques du pays en accord avec la loi pourraient cantonner à jamais une partie de la société (les plus pauvres) dans le travail domestique avec toutes les stigmatisations qui vont avec. L’une des conséquences du Droit, c’est d’agir sur la société autant que l’inverse est aussi vrai. Il semble que l’économie, la faiblesse de l’autorité et les stigmatisations barricadent l’application des dispositions relatives aux travailleurs domestiques. Les ajustements du salaire minimum à chaque exercice fiscal demeureront inopérants dans ce secteur tant que les conditions macro-économiques du pays demeureront avec un taux de croissance inférieur au taux de croissance de la population. Et peut-être qu’une application stricte de la loi transformerait le travail domestique comme un service de luxe que ne pourront s’offrir que les plus fortunés de la société. Dans un pays pauvre, cela signifie moins d’offre d’emplois dans le secteur et moins d’offre aboutirait à des négociations illégales de salaire inférieur au salaire minimum. Ce raisonnement nous montre que même avec une application de la loi, sans une croissance économique convenable, cela aboutirait malgré tout, aux conditions actuelles.

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