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PEUT-ON PAYER SES EMPLOYÉS-ES EN DOLLAR ?

SALAIRE MINIMUM 2019 : Y A-T-IL VRAIMENT EU AUGMENTATION ?Le mardi 21 mai 2019, nous avons été informés par les médias qu’une compagnie avait décidé de payer ses employés-es est en dollars. La raison nous paraît évidente avec la dévaluation rapide et ininterrompue de la gourde qui côtoie au moment où nous écrivons ces lignes les 94.00 gourdes pour un dollar dans certaines entreprises. Depuis la chute du pouvoir Duvalier la monnaie nationale ne s’échange plus par cours forcé (cinq gourdes pour un dollar) le marché de change s’étant libéralisé. La vitesse de la dévaluation diminue chaque jour la valeur réelle des salaires perçus par les employés-es. Pour contrer la perte de valeur une des solutions est de payer avec la devise la plus stable et la plus forte. La question maintenant est de savoir si cela est légalement possible. Le Code du travail en son article 138 stipule :


« Le salaire stipulé en espèces doit être payé en monnaie ayant cours légal. Il est absolument interdit de le payer sous forme de marchandises, bons, fiches, jetons ou tout autre signe représentatif tendant à remplacer la monnaie. »

 

Que veut dire cours légal ? Le terme vient de l’ancien français « la monnaie courre ». Il signifie que sur le territoire de la République d’Haïti personne ne peut refuser le règlement d’une dette avec la monnaie nationale c’est d’ailleurs une contravention (infraction) du deuxième classe punie d’amende selon l’article 394 (8) du Code Pénal. Il a aussi le sens de monnaies qui sont légalement en circulation sur le territoire et l’économie d’un État. La monnaie nationale est établie par la constitution de 1987 amendée (version française) en son article 6. Et nous savons tous que c’est la gourde et ses multiples le centime. La monnaie nationale ne signifie pas nécessairement monnaie ayant cours légal. Quel sens prend le concept de monnaie ayant cours légal dans la législation haïtienne du travail ?

 

Le décret du 29 septembre 1989 modifié en son article 1er par le décret du 18 janvier 1990 rapportant celui du 7 juillet 1989 sur les devises, autorise les banques commerciales à ouvrir en faveur de leur clientèle des comptes en devises étrangères. Ce dernier est donc libre d’agir dans les limites de la loi et des modalités de gestion des banques sur son compte. La Circulaire BRH/CIR/95 N° 62 du 13 mars 1995 (dispositions relatives à la gestion des comptes de dépôts en monnaies étrangères) destinées aux banques commerciales dispose :

« …Les banques commerciales mettront des chéquiers à la disposition des détenteurs de compte de dépôt à vue et les chéquiers seront libellés en dollars US. »

 

Le décret de 1989 et la circulaire de 1995 autorisent (sans aller plus loin) les transactions en dollars en Haïti. Avec la possibilité d’ouvrir un compte en devises étrangères et la particularité de disposer de chèque en US les transactions deviennent possibles entre les parties puis le chèque sera légalement négocié à la banque de l’émetteur. L’émetteur du chèque peut être un employeur, l’employé-e pourra par la suite négocier le chèque à la banque qui l’a émis où aussi l’émetteur dispose d’un compte en dollars.

 

 L’interdiction de l’article 138 consiste à ne pas rémunérer un travailleur-euse par d’autres moyens que la monnaie ayant cours légal comme par exemple marchandises, bons, fiches, jetons ou tout autre signe représentatif tendant à remplacer la monnaie. Le législateur veut s’assurer en se fondant sur la fonction alimentaire du salaire, que l’ouvrier-ère perçoit de la monnaie qui garantira une multitude de possibilités transactionnelles. L’esprit de l’article pour faire court c’est de ne pas remplacer la monnaie. Notons tout de même que le législateur autorisera les paiements en nature tout en les limitant à un pourcentage certain dans le but de conserver le droit de percevoir le salaire en monnaie. La monnaie ayant cours légal évoquée dans la première partie de l’article 138 renvoie donc à toutes les monnaies ayant cours légal c’est-à-dire la monnaie nationale : la gourde et la devise susceptible de compte et de chéquier : le dollar. La Convention n° 95 sur la protection du salaire de 1949 qui oblige les États signataires va dans le même sens que l’article 138 dans l’alinéa premier de l’article 3. L’alinéa 2 quant à lui, confirme notre raisonnement.

 

Convention (n° 95) sur la protection du salaire, 1949 Convention concernant la protection du salaire (Entrée en vigueur: 24 sept. 1952) Article 31. Les salaires payables en espèces seront payés exclusivement en monnaie ayant cours légal, et le paiement sous forme de billets à ordre, de bons, de coupons ou sous toute autre forme censée représenter la monnaie ayant cours légal sera interdit.2. L’autorité compétente pourra permettre ou prescrire le paiement du salaire par chèque tiré sur une banque ou par chèque ou mandat postal, lorsque ce mode de paiement est de pratique courante ou est nécessaire en raison de circonstances spéciales, lorsqu’une convention collective ou une sentence arbitrale le prévoit ou lorsque, à défaut de telles dispositions, le travailleur intéressé y consent.

 

Le dollar sans être la monnaie nationale, a autant cours légal en Haïti que la gourde. Si vrai que l’arrêté présidentiel du 1er mars 2018 portant obligation de libeller et d’effectuer les transactions commerciales sur l’ensemble du territoire dans la monnaie nationale interdit la circulation d’autres devises que la gourde dans l’économie de pays. Cet arrêté présidentiel aurait pu rendre la décision de cette compagnie illégale. Mais il a été reporté par l’arrêté présidentiel du datant du 9 octobre 2018. On peut se demander si une telle décision de la compagnie d’énergie, qui soulagera à coup sûr ses employés-es, peut être suivie par toutes les autres entreprises sans créer une pression de plus sur le marché de change ? Une petite discussion avec le Dr en économie Thomas Lalime a conclu sur ce qui suit : pour créer une pression supplémentaire sur le marché de change dans l’hypothèse que toutes les entreprises du pays se mettaient à payer leurs employés-es en dollars, il faudrait que toutes ses entreprises achètent le dollar pour liquider les salaires. Car les entreprises dont les contrats sont libellés en dollars ne créer pas de pression supplémentaire. Reste à savoir combien de compagnie peuvent prendre cette décision sans s’acheter des dollars.

 

Comme-ci l’économie et le droit du travail ne pouvait pas travailler ensemble…

 

Remerciement au Dr Thomas Lalime.

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