Le mot grève est utilisé indifféremment pour dire : la grève des employés, le lock-out des employeurs ou l’arrêt complet ou partiel des activités économiques pour des raisons politiques. Il nous faut mettre un peu d’ordre pour fixer les concepts qui se cachent sous ce mot. En droit du travail il existe deux concepts sous le mot grève : celui de grève et de lock-out.
Le mot grève vient du mot Gaulois grava qui désignait du sable épais. Une place bordant la Seine (un fleuve en France) étant submergée de sable épais était appelée la Place de la Grève. Au 17ème siècle les chômeurs s’y retrouvaient en quête d’opportunité d’emploi. C’est là qu’a pris naissance l’expression faire la grève qui voulait dire chercher du travail. C’est au 19ème siècle que le sens actuel commence à faire son apparition. Juridiquement la grève signifie une interruption concertée et collective du travail par des travailleurs dans le but soutenir une revendication. La grève peut être politique lorsqu’elle est dirigée essentiellement contre le gouvernement ou le pouvoir politique.
La grève des employeurs s’appelle lock-out c’est un anglicisme qui vient de lock : fermer à clef et out : dehors. Littéralement, enfermer dehors dans le sens de fermer pour interdire l’accès. Juridiquement, il signifie un arrêt total ou partiel des activités de production par l’employeur en plein conflit de travail dans le but de s’opposer à une grève et soutenir ses propres revendications contraires à celles des employés.
Une grève politique ne peut être attribuée à un lock-out pour déresponsabiliser un employeur face à ses obligations envers ses employés. Le lock-out n’implique aucune responsabilité pour l’employeur que dans le cas où il est légal. Cette légalité est conditionnée par le Décret du 27 mai 1986 qui dispose qu’un lock-out est légal que s’il répond aux trois critères suivants : premièrement, une suspension temporaire du travail avec intérêt exclusif de défendre les intérêts économiques, sociaux et moraux de l’employeur ; deuxièmement, fermeture totale ou partielle de l’entreprise, troisièmement, notification des employés et de la Direction du travail. Le premier critère empêche l’employeur de faire passer sa grève politique pour un lock-out parce que ce dernier n’est justifié que par les intérêts relatifs au travail donc au droit du travail. Or, les revendications politiques échappent à cette branche du Droit. L’article 2 du Décret du 27 mai 1986 ne s’applique pas en pareille circonstance.
L’argument de la force majeure peut être avancé par l’employeur. En ce sens qu’il lui était impossible de ne pas participer à la grève politique. A cela nous répondons : premièrement, que les choix politiques de l’employeur n’engagent en rien ceux de l’employé. Ce dernier ne peut être forcé de faire la grève. Par extrapolation, nous évoquons l’article 50 du Code du travail qui considère comme abusive une résiliation pour cause de conviction politique de l’employé. Si pour l’article 50 la résiliation pour cette cause est abusive a fortiori forcer l’employé à suivre ses choix politiques l’est tout autant. Faire la grève politique dépend du consentement de ce dernier ; deuxièmement, les caractéristiques de la force majeure ne sont pas réunies. La force majeure doit être externe à celui qui la subit or c’est un choix de l’employeur. Elle est dénuée d’imprévisibilité puisque l’employeur consent à y prendre part. Elle n’est pas irrésistible puisque la grève politique est libre donc il aurait pu refuser de participer. Choisir de faire la grève politique n’est pas un cas de force majeure justifiant une suspension temporaire de contrat de travail libérant l’employeur de l’obligation de verser le salaire de l’employé.
Ceci étant dit, on arrive sans mal à la conclusion que l’employeur n’est pas exonéré de ses responsabilités. Par conséquent, être l’instigateur ou être solidaire d’une grève politique enclenchée par les employeurs n’est ni un lock-out ni un cas de force majeure. Les jours d’arrêt de travail sont donc dû à l’employé et ne pourront être retenus sur le salaire de celui-ci.
Bibliographie
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LATORTUE François, Cours de Droit Civil, Imprimeur II, Port-au-Prince, 2008, p 406
CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Presse Université de France, 12e édition, 2018, 1103