PLAIDOYER POUR UNE PROFESSION DE JURISTE D’ENTREPRISE

PLAIDOYER POUR UNE PROFESSION DE JURISTE D’ENTREPRISE

Faire d’Haïti un pays émergeant d’ici 2030 n’est possible qu’économiquement. Nous pensons que nos hommes d’Etat ont compris cela, du moins dans leurs discours (Haïti is open for business now !). Mais, il faut des actes concrets capables de mettre en confiance les investisseurs. Il faut des infrastructures, de la sécurité (sous toutes ses formes), des lois et de la compétence professionnelle surtout dans le secteur tertiaire. Et la profession qui nous intéresse ici ne s’est pas encore développée en Haïti : le juriste d’entreprise.  

Le juriste d’entreprise et la modernisation des affaires

Le secteur haïtien des affaires a besoin de modernisation profonde. Nos hommes d’affaires ne doivent plus être que de simple commerçants grossistes, entrepreneuriat doit intégrer notre culture, le droit des affaires se moderniser et la profession de juriste d’entreprise émerger. Ces deux derniers vont de pair. Le 6 juillet dernier une commission présidentielle pour la modernisation du droit des affaires a été créée avec pour mission comme son nom l’indique de mettre à jour le droit haïtien des affaires. Cette entreprise louable doit impérativement avoir pour corollaire l’implantation du juriste d’entreprise en Haïti. Car qui va contribuer à leur mise en œuvre ? La première réponse qui nous vient en tête : les avocats. Mais est-ce uniquement eux ?

Avocats d’affaires et des juristes d’entreprise

Ils sont tous deux des professionnels du monde du business à l’intersection de l’entreprenariat et du droit des affaires. L’avocat d’affaires membre de l’ordre des avocats représente et défend les intérêts des entreprises devant les tribunaux. Le juriste d’entreprise n’est pas membre d’un Barreau mais travaille comme employé au sein de l’entreprise dans une structure appelée Direction ou Service Juridique ou comme consultant. Sa mission : protéger l’entreprise des risques juridiques, de veiller à ce que les décisions managériales se prennent en toute légalité. C’est un véritable conseiller-juridique.

Le problème du déploiement de ces professions

En Haïti, ces deux professions sont encore au stade larvaire. L’avocat haïtien s’occupe de toute sorte de dossiers parmi lesquels ceux des entreprises. Il est nous difficile d’avoir des avocats d’affaires au sens stricte, puisqu’ils sont obligées de diversifier leur service pour assurer de bon résultats financiers. Pourquoi ? Parce que le marché des justiciables est trop petit. Nos concitoyens n’ont pas confiance dans le système judiciaire alors ils utilisent très peu ce service. Face à un marché avec si peu de consommateurs la solution du profit se trouve dans la diversification.

Il y a plusieurs juristes et parfois même des avocats qui travaillent au sein des services juridiques de certaines entreprises. Mais ils n’ont ni l’expérience ni la formation adéquate pour ces postes. Parfois leur intelligence et le faible développement du secteur leur permettent de s’en tirer. Ces juristes n’ont pas encore pris conscience qu’être juriste…dans une entreprise, ce qui est diffèrent que d’être son avocat, un membre d’une équipe managériale. La fixation commune que les études de droit ne forment que des professionnels portant la toge noire a pour cause des réflexes d’avocat de la part des juristes ce qui ne correspond pas aux besoins du manager ralentissant ainsi son management. Demandez à un juriste qui travaille dans une entreprise ce qu’il y fait, il vous répondra avec une voix teintée de fierté qu’il est l’avocat de l’entreprise. Etre avocat est socialement valorisant, être étudiant en première année en fac de droit c’est avoir déjà droit au titre de Maître. Les études sont si lié à la profession qu’en disant que vous êtes avocat la première question que l’on vous pose est : avez-vous remis votre mémoire de sortie ? Comme si la licence en droit fait de vous un avocat, l’inscription au barreau n’est que secondaire. Les conseillers-juridique sont presque tous des avocats. Tout ceci explique pourquoi très peu de juriste savent réellement ce qu’est la mission du juriste d’entreprise.

La mission du juriste d’entreprise

Le juriste d’affaires est l’ange gardien de l’entreprise (du point de vue juridique et judiciaire bien sûr !). Il est un  élément de la hiérarchie administrative avec un supérieur qui s’attend à des résultats. Le juriste d‘entreprise ne peut se permettre l’orgueil d’un avocat toutefois il doit être indépendant comme un Juge. Son indépendance est une garantie pour l’entreprise puisque son outil principal de travail est la loi. Il guide dans ces décisions le manager préoccupé par le rendement de son entreprise. Le juriste d’entreprise investi de cette même préoccupation veille à la légalité de ces décisions. Tandis que l’avocat ne vise, le plus souvent, a gagné des procès le juriste les évites. Avec un savoir de base du management, de la comptabilité, de la gestion des ressources humaines, du marketing et de la fiscalité il travaille avec tous les secteurs de l’entreprise. Négociateur, il doit connaitre son entreprise.

Les tâches du juriste d’entreprise :

  1. Accompagner l’Assemblée Générale et le Conseil d’Administration dans l’opération de restructuration, de création, de cession et d’acquisition d’entreprise ;
  2. Négocier et Rédiger les contrats ;
  3. Faire le suivi, en tant que secrétariat juridique, des dossiers le concernant ;
  4. Travail avec la direction des ressources humaines sur les contrats et les conditions de travail et dans le cas de licenciement ;
  5. Orienter les décisions des managers dans le sens de la loi ;
  6. Procéder à l’audite des décisions déjà prises ainsi que des documents juridiques ;
  7. Limiter les risques juridiques existants ;
  8. Représenter l’entreprise devant les institutions ou la présence de l’avocat n’est pas obligatoire ;
  9. Faire le suivi des dossiers de recouvrement de créances
  10. Travailler en étroite collaboration avec les avocats de l’entreprise (les juristes d’entreprises sont les plus proches collaborateurs des avocats).

La profession de l’avenir

Organiser et réglementer ces deux secteurs du droit est capital pour l’économie haïtienne. La Commission présidentielle pour la modernisation du droit des affaires, la fédération des Barreaux d’Haïti, le Ministère du commerce et de l’industrie et l’Université d’Etat d’Haïti  devraient se pencher sur la question. La Commission devant remettre à l’Exécutif des « propositions » de projets de lois à la fin de son mandat, ne doit pas perdre de vue que ces documents une fois votés seront des instruments entre les mains d’avocats d’affaires et des juristes d’entreprise. Les Ecoles de commerce aussi devraient commencer à réfléchir sur les besoins des entreprises en juristes avec une formation en management juridique à l’instar des écoles de secrétariat qui forment des secrétaires juridiques pour les cabinets d’avocats. La Fédération des Barreaux d’Haïti et les Universités du pays aussi devraient organiser des colloques sur le sujet.

Les jeunes juristes désireux de faire carrière dans le secteur des affaires ou ceux qui travaillent déjà au sein d’une entreprise comme juriste devront prendre des cours de management et d’assistance administrative. De mettre de cote la gloire et le respect liés à la toge noire, aux français latinisé de l’avocat. Des études de maitrise en droit haïtien des affaires seraient encore plus appropriées.

L’Association haïtienne des Juristes d’entreprise

Lorsque le monde des affaires aura bien intégré cette profession, on commencera à penser à l’élaboration de l’association haïtienne des juristes d’entreprise qui s’occupera de l’encadrement tant intellectuel que professionnel de ses membres. L’association sera doublement importante. Elle sera le défenseur de la profession et veillera à la compétence de ses membres. A partir des colloques et conférences elle permettra le développement de la profession. Elle travaillera en étroite collaboration avec la Fédération des Barreaux d’Haïti ainsi que les diverses Chambres de commerce. Tout ceci dans l’intérêt de l’économie du pays, de la stabilité sociale, du développement et surtout ceux des entreprises et des consommateurs.

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