L'EMPLOYEUR PEUT-IL AVISER LA DIRECTION DU TRAVAIL APRÈS AVOIR APPLIQUÉ LA MISE EN DISPONIBILITÉ EN CAS DE FORCE MAJEURE GLOBALE

L’EMPLOYEUR PEUT-IL AVISER LA DIRECTION DU TRAVAIL APRÈS AVOIR APPLIQUÉ LA MISE EN DISPONIBILITÉ EN CAS DE FORCE MAJEURE GLOBALE

Les suspensions temporaires de contrat de travail ne finissent pas de faire parler d’elles. Conséquences directes de la crise, elles font redouter l’avenir économique du pays. Les événements politiques qui les ont engendrées induisent d’autres problèmes juridiques auxquels les avocats pourraient avoir des difficultés à répondre aux patrons qui les consultent tant la situation est juridiquement inédite. Parmi eux, il y a ce que nous appelons l’énigme juridique de l’article 32 (Code du travail).

Mise en contexte

En cas de force majeure, le patron pourra appliquer l’article 32 permettant de mettre à exécution la suspension temporaire des contrats de travail (ou mise en disponibilité). Elle a pour effet de suspendre provisoirement la responsabilité des deux parties sans mettre fin au contrat. De ce fait, l’employé n’est plus dans l’obligation de fournir une prestation de travail ni l’employeur de verser le salaire. Pour l’utiliser, un avis doit être adresse à la Direction du travail. L’Arrêt du 27 janvier 1977, 2e section, Walter Préval contre Renel Harris précise “… qu’il fait obligation à l’employeur d’en donner immédiatement avis à la Direction générale du travail…”. Nous comprenons qu’aviser la Direction du travail est obligatoire en ce sens que la Police du travail doit être immédiatement informée des conditions réelles de la mise en disponibilité des employés et ainsi veiller au respect de l’article 32. Elle a pour mission d’empêcher le patron d’appliquer la suspension sans avoir de causes réelles ou en tout étant le responsable de ses causes de la suspension de mettre injustement et illégalement ses employés en disponibilité.

Problématique

Dans le contexte qui nous concerne c’est la force majeure la cause de l’application de la suspension. Selon les observations, les cas de force majeure peuvent être personnelle (il ne concerne que l’entreprise de l’employeur), régional (concerne un grand nombre d’entreprises dans une région quelconque du territoire national) ou global (quand il paralyse l’ensemble de la vie économique et juridique nationale). Dans notre situation, le cas de force majeure est global. La crise politique dans la forme qu’elle manifeste son influence paralyse complètement la vie économique avec ses barricades les unes plus infranchissables que les autres. La question est alors de savoir comment un patron contraint de suspendre le contrat de ses employés, et dans l’impossibilité d’informer la Direction du Travail parce que la cause de la force majeure est globale c’est-à-dire perturbe ou paralyse aussi le fonctionnement de la Direction ? On peut aussi imaginer le cas où deux circonstances différentes et sans lien causent une paralysie des deux institutions : pénurie de matières premières pour l’entreprise et grève illimitée (entre autres) pour la Direction du travail (chose courante dans le cas qui nous concerne).

L’avis étant une obligation pour l’employeur (l’Arrêt du 27 janvier 1977, 2e section, Walter Préval contre Renel Harris) il ne peut appliquer la suspension que sous cette condition. Dans le cas où il n’aura pas accompli cette formalité, il sera obligé de verser son salaire à l’employé et pourra même, dans les pires de cas, être condamné à verser des dommages-intérêts à celui-ci. L’enjeu est encore plus grand quand il s’agit de nombreux employés qui portent plainte. Comment un patron peut-il être responsable alors qu’il était de bonne-foi dans l’impossibilité d’accomplir cette obligation d’ordre public à cause de la situation globale de force majeure ?

C’est ce que nous appelons l’énigme de l’article 32. Le droit positif ne donne aucune réponse ni directement ni indirectement. Le Législateur ne semble pas avoir anticipé les cas de force majeure globaux pouvant paralyser l’entreprise autant que les institutions étatiques.

Cette énigme est un exemple de plus de l’interconnexion du Droit. Aucune branche du droit n’est hermétique par rapport à une autre. Car le problème qui se pose avec l’énigme de l’article 32 est que la solution ne peut être dans le champ du Droit du travail. En regardant de plus près, on constate que nous sommes en face d’un rapport entre un administré et une institution de l’État. Nous nageons en plein Droit administratif. Il s’agit d’une obligation faite à un administré, à savoir l’employeur, d’en informer l’administration étatique (ici le Ministère des Affaires Sociales et du Travail dont la Direction du travail est une des directions). La réponse devrait donc se trouver dans cette branche du Droit public.

Les théories juridiquesNous avons discuté avec deux confrères sur la question, tous deux spécialistes en Droit public, ce sont Me Monferrier Dorval et Me Jean Shanon Beaublanc. Ils ont chacun avance une théorie de droit public susceptible de résoudre notre énigme. Ce sont pour le premier la théorie des circonstances exceptionnelles et pour le second la théorie de la tolérance administrative. Voyons brièvement ce que sont ces deux théories juridiques. Nous ne pouvons faire une étude exhaustive de ces théories sans sortir complètement du Droit du travail. Nous préférons nous satelliser autour et ouvrir des perspectives pour nos avocats qui défendront d’éventuels employeurs en pareil cas.

La théorie des circonstances exceptionnelles

Elle permet à l’autorité publique d’entreprendre des actions qui en temps normal seraient illégales. Elle entre en jeu dans des circonstances de crise comme la guerre, les invasions, etc. et concerne le plus souvent le pouvoir exécutif. En France par exemple le Président de la République peut décréter les pleins pouvoirs en cas d’insurrection armée interrompant la continuité des pouvoirs. La question est de savoir si le Ministère des Affaires Sociale et du Travail peut s’octroyer des pouvoirs comme celui de ne pas sanctionner l’employeur qui n’avise pas la Direction du travail immédiatement parce que impossible. Ou encore un avis adressé des jours ou des semaines après l’application de la suspension temporaire du contrat de travail.
La  théorie des circonstances exceptionnelles permet moins à l’administré d’agir contrairement à la loi que l’Autorité publique de poser des actes normalement interdits par la loi. Elle accorde un pouvoir supplémentaire dans le but de maintenir l’intégrité de la République surtout dans les cas où ces actes vont dans le sens des intérêts communs.
La théorie poussée dans ses derniers retranchements ne donne pas de liberté à l’administré qui pourrait se voir condamné pour un avis transmis en retard par une administration devenue surpuissante. Elle nous parait par conséquent peu adapter à la situation du patron qui ne peut appliquer l’article 32 deuxième alinéa en cas de force majeure globale.

La théorie de la tolérance administrative

C’est le fait par l’administration publique, dont l’un des pouvoirs est de sanctionner les actes illégaux que posent ses administrés, de faire l’économie de la sanction quand un administré sort de la légalité. Pour parler de tolérance administrative il faut deux conditions nécessaires, premièrement, que l’action de l’administré soit illégale. Cet acte ne doit pas être illégal par la faute de l’Administration elle-même par exemple. Et deuxièmement, l’Administration accepte l’illégalité de l’acte sans appliquer les sanctions prévues.

Cette théorie semble pour notre part s’adapter parfaitement à la situation que pose notre énigme. L’employeur ne respecte pas l’article 32 et la Direction du travail accuse réception de l’avis retarde. Bien entendu, il faut prendre en compte les circonstances de cette acceptation qui se justifie particulièrement à cause d’un cas de force majeure globale responsable de sa propre incapacité de fonctionnement. Ne pouvant pas recevoir à temps l’avis de l’employeur la Direction l’accepte volontiers quelques jours ou quelques semaines après l’application de la suspension.

En cas de contestation, l’employeur pourra évoquer la tolérance administrative due aux circonstances de paralysie totale de la vie nationale. Ce moyen pourra être soutenu par un certificat de cette tolérance en guise de preuve. Le Juge décidera en fonction de ces preuves : le certificat de tolérance et l’impossibilité effective de fonctionnement de l’entreprise soit partiellement soit totalement.

Conclusion

Face à l’énigme de l’article 32 qui pose le problème de savoir si le patron peut aviser la Direction du travail quelques jours ou quelques mois après l’application de la suspension temporaire de contrat de travail parce que la Direction était indisponible pour les mêmes causes qui justifient l’application de la suspension, la théorie de la tolérance administrative exige et permet à cette même Direction mais aussi au Tribunal Spécial du Travail à ne pas condamner l’employeur au versement de salaire et de dommages-intérêts en pareil cas.


Soulignons tout de même que la Direction du travail peut aussi résoudre ce problème de manière plus simple en mettant à la disposition des employeurs et des employés un système de communication numérique tel que l’e-mail. Un tel système permet de résoudre l’énigme en la vidant de son sens du moins dans ce cas précis puisque l’avis pourra être adresse même en cas de non-fonctionnement de la Direction. Nous pouvons toujours avancer que l’énigme pourra reprendre vie en cas où les systèmes de communication numérique ne fonctionneraient pas à cause de panne électrique généralisée due par cette même forme de crise politique.  

L’employeur devra pour profiter de cette tolérance l’évoquer dans l’avis et présenter sa demande à la Direction du travail. Cette dernière pourra présenter à l’employeur un certificat de tolérance susceptible de lui servir de preuve devant le Tribunal et le protéger des condamnations pour non-exécution de l’obligation d’aviser immédiatement la Direction.

Bibliographie

  • SALES Jean-Frédéric, Code du travail de la République d’Haïti, Presse de l’Université Quisqueya, Port-au-Prince, 1992, p 398.
  • LATORTUE François, Le droit du travail haïtien, Editions des Antilles, Port-au-Prince, 2008, p 505.     CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Presse Université de France, Paris, 12e édition, 2018, 1103GUINCHARD Serge, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 19e édition, Paris, 2012, p. 918
  • Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, Contribution a une définition de la notion de tolérance administrative, Fanny Grabiashttps://books.openedition.org/putc/726
  • Cours de Droit.net, les Circonstances exceptionnelles et les régimes spéciauxhttp://cours-de-droit.net/les-circonstances-exceptionnelles-et-les-regimes-d-exception-a130960138/

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Les suspensions temporaires de contrat de travail ne finissent pas de faire parler d’elles. Conséquences directes de la crise, elles font redouter l’avenir économique du pays. Les événements politiques qui les ont engendrées induisent d’autres problèmes juridiques auxquels les avocats pourraient avoir des difficultés à répondre aux patrons qui les consultent tant la situation est juridiquement inédite. Parmi eux, il y a ce que nous appelons l’énigme juridique de l’article 32 (Code du travail).
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