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LE PREMIER NOVEMBRE NÉCESSITE-T-IL UN ARRÊTÉ PRÉSIDENTIEL ? : ANALYSE JURIDICO-HISTORIQUE DES JOURS FÉRIÉS

Tous les jours fériés ne sont pas évidents, surtout pour les patrons. Certains employés se sentent frustrés, en particulier le premier novembre, lorsque la DRH leur annonce qu’ils doivent venir travailler ce jour-là. L’argument souvent avancé est qu’il n’y a pas d’Arrêté Présidentiel publié dans le Moniteur confirmant que le jour est férié. On est habitué aux jours fériés fixés par Arrêté comme pour le 12 janvier. Le doute plane généralement à la veille de la fête Dieu. Cependant, le premier et le deux novembre sont certainement des jours fériés. Tout le monde s’assure qu’il profitera d’un long week-end qui débutera ce jeudi pour finir dimanche. Et quand le patron lance que demain tout le monde doit se présenter à son bureau parce qu’aucun Arrêté n’a été publié sur la question, on sent rapidement la volonté d’exploitation capitaliste de celui-ci et les grognes montent. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que nous savons tout sur les jours fériés ? 

Les jours fériés du code du travail du 24 novembre 1984

Le premier code du travail de l’histoire juridique d’Haïti a vu le jour en 1961. Cependant, je débuterai ma réflexion sur celui de 1984 toujours en vigueur. A cette époque, le code divisait, en son article 109, les jours fériés en deux catégories : les jours fériés chômés (article 110) et les jours non chômés (article 111). Les jours fériés chômés étaient des jours où l’ouvrier ne travaillait pas et les jours non chômés étaient des jours où l’ouvrier ne travaillait que si un arrêté présidentiel avait décidé de les rendre chômés. Les jours fériés chômés que l’on pouvait rencontrer dans le code en 1984 étaient :
  • le 1er janvier, jour de l’indépendance;
  • le 2 janvier, jour des aïeux;
  • le 1er mai, fête nationale du travail et de l’agriculture;
  • le 18 mai, fête du drapeau et de l’Université;
  • le 22 mai, jour de la souveraineté et de la reconnaissance nationale;
  • le 22 juin, jour de la présidence à vie;
  • le 18 novembre, commémoration de la bataille de Vertières et jour des forces armées d’Haïti;
  • le 5 décembre, anniversaire de la découverte d’Haïti;
  • le Mardi gras;
  • le Vendredi-Saint;
  • le 25 décembre, jour de Noël;
  • le Lundi gras et le 2 novembre, jour de la fête des morts à partir de midi.
Remarquez que le lundi gras et le 2 novembre étaient chômés qu’à partir de midi, ce qu’on appelle communément la demi-journée de travail. De plus ceux qui sont nés dans les années 80 n’ont jamais vécu un 22 mai, jour de la souveraineté et de la reconnaissance nationale ou le 22 juin, jour de la présidence à vie.
Quant aux jours fériés non chômés, il y avait :
  • le 14 avril, jour des Amériques;
  • la Fête-Dieu;
  • la fête de l’Ascension;
  • le 15 août, fête de l’Assomption;
  • le 17 octobre, anniversaire de la mort de J.-J. Dessalines;
  • le 24 octobre, jour des Nations Unies;
  • le 1er novembre, fête de la Toussaint.
Les jours fériés non chômés pourront être déclarés chômés par arrêté présidentiel. Le 17 octobre commémorant la mort de Dessalines pouvait théoriquement ne pas être chômé si le gouvernement de Jean Claude Duvalier ne l’avait pas décidé. Certains jours fériés sont pour la génération des années 80 complètement inconnus par exemple le 14 avril, jour des Amériques ou encore le 24 octobre, jour des Nations Unies.

Les abrogations du décret du 11 novembre 1985

Le 11 novembre 1985, le code du travail de 1984 subit une abrogation partielle de son chapitre 3 sur les repos hebdomadaire et jours fériés par la publication dans le journal le Moniteur du décret du 23 mai 1989 abrogeant les articles 109 et 111 et modifiant l’article 110. Ce nouveau décret expulse du code les différenciations des jours fériés en jour chômé ou non. Dorénavant, il n’y a que des jours fériés. Les jours fériés non chômé sont, dans un souci de cohérence, éliminés du code. Cette décision a été motivée dans les considérants du décret où on n’y trouve deux arguments principaux :
a) les torts causés à l’économie nationale par l’imposition de jours fériés chômés imprévus et trop nombreux. Souvenez-vous que les jours fériés non chômés peuvent devenir chômés par arrêté présidentiel. Donc le nombre considérable d’arrêtés et l’incertitude de leur publication devrait créer un vrai désordre dans l’administration des DRH de l’époque. Cet argument est administratif et comptable en ce sens qu’il présente les répercussions négatives sur les chiffres d’affaires dues aux incertitudes administratives des DRH ;
b) stimuler la performance des entreprises en diminuant les jours fériés dans le but de créer de nouveaux emplois, accroître la production nationale et de contribuer à améliorer la position de la balance de paiement et des réserves nationales de change. Celui-ci expose une volonté spécifique de politique macro-économique.
Le souci du législateur fut donc de mieux réglementer la distribution des jours chômés en les limitant à ceux de l’article 110 (voir plus haut) pour réaliser cette nouvelle politique publique économique. L’article 110 a donc été repris par le décret du 11 novembre 1985 dans son article 1er.

La Constitution de 1987, les fêtes nationales et légales

Sans abandonner le dualisme des jours fériés, la Constitution de 1987 apporte à son tour, deux ans plus tard, sa touche de modification du régime juridique des jours fériés. Dans les dispositions générales de son titre 12 article 275, la Constitution divise le chômage (signifiant ici arrêt de travail) des entreprises privées et publiques en fêtes nationales et fêtes légales. Les fêtes nationales sont établies par la Constitution et les fêtes légales par la loi. Les fêtes nationales sont ainsi listées dans l’article 275-1 :
  • la fête de l’indépendance ,1er janvier ;
  • le jour des aïeux, 2 janvier ;
  • la fête nationale du travail et de l’agriculture, 1er mai ;
  • la fête du drapeau et de l’Université, 18 mai ;
  • la commémoration de la bataille de Vertières et jour des forces armées d’Haïti, 18 novembre ;
Cette disposition modifie l’article 110 en lui enlevant ces jours fériés. Les jours restant sont devenus les fêtes légales. La Constitution de 1987 soufflant un air de démocratie sur l’État haïtien emporta le jour férié du 22 juin, jour de la présidence à vie en son article 134-1, le président disposant désormais d’un mandat de cinq ans. Malgré ces changements, la Constitution de 1987 n’a pas fixé les jours fériés légaux. Cependant, entendons-nous sur un point : ce n’est pas sa mission. La loi va devoir combler les trous laissés par la Loi mère dans l’article 110 du code du travail.

Les abrogations du décret du 23 mai 1989

Ce sera chose faite le 22 janvier 1989 lors de la publication du décret du 23 mai 1989 déterminant, en dehors des Fêtes Nationales, de façon plus précises les Fêtes Légales. Les juristes soucieux du respect de la hiérarchie des normes ont surement été contrariés du fait qu’un décret fixe les Fêtes Légales. Mais le pays était en pleine crise politique sous le gouvernement militaire de Prosper Avril. Le pouvoir était donc administré par décret. Le décret du 23 mai 1989 balaye l’article 110 tel que connu dans le décret du 11 novembre 1985 par sa disposition abrogatoire de l’article 3. Désormais la liste des jours fériés légaux est édictée par l’article 1er du décret du 23 mai 1989 :
  • Le Mardi Gras
  • Le Vendredi Saint
  • La Fête Dieu
  • L’Assomption
  • Le 17 Octobre, Mort de Dessalines
  • Le 2 Novembre, Fête des Morts
  • Le 25 Décembre, Jour de Noel

Jour de la Toussaint, son passé et son présent

Tout au long de notre parcours analytique et historique, vous avez surement remarqué que le 1er novembre ne faisait partie de la liste ni des jours fériés chômés, ni des fêtes nationales ou légales. C’est parce que, du Code du Travail du 24 février 1984 à nos jours, la Toussaint n’a jamais été un jour férié au sens ou l’entend la Constitution, un jour où l’employé ne travail pas. Le 2 novembre jusqu’en 1989 n’a été une demi-journée fériée. C’est à partir du décret du 23 mai 1989 que ce dernier devient une fête légale, la fête des morts. Le premier novembre a, cependant, été un jour férié sous la présidence de Louis Borno avec la publication de la première loi déterminant les jours fériés de l’année (était ainsi titré la loi) qui ne comptait que deux fêtes nationales et cinq jours fériés (la loi du 26 juillet 1926). Il a définitivement disparu de la législation du travail avec le décret du 23 mai 1989. Mais a subsisté en tant que fête traditionnelle.

Les erreurs de l’Exécutif 

Au regard de tout ce que nous venons de voir, certains jours fériés n’ont jamais nécessité d’arrêté. C’est le cas de la Fête-Dieu et du 2 novembre, le jour des morts. Cependant, l’Exécutif semble systématiquement prendre des arrêtés inutiles. L’explication de cette erreur juridique se trouve dans les visas de ces arrêtés. Prenons pour exemple les arrêtés pris sous la présidence de Jean Bertrand Aristide (arrêté du 31 octobre 2001), ceux pris sous celle de René Garcia Préval (arrêté du 30 octobre 2008) pour la Toussaint et le jour des morts et sous Alexandre Boniface (arrêté du 7 octobre 2004) pour la Fête Dieu. Ils ont tous en commun d’évoquer dans les visas, l’article 109 du code du travail que nous savons abrogé depuis le décret du 11 novembre 1985. L’article n’existant plus juridiquement ne peut servir de visa à une loi (l’élémentaire de la logistique). Déduction faite, l’Exécutif opère avec la version du Code du Travail non abrogé. Rappelez-vous des dispositions l’article 111 abrogé par le décret du 11 novembre 1985 : les jours fériés non chômés peuvent devenir chômés par arrêté présidentiel. Or la Fête-Dieu et le 2 novembre faisaient parties de ces jours fériés non chômés. Bien qu’il n’évoque pas l’article 111 du code du travail mais le visa de l’article 109 prouve que leur version de référence est le code du travail non abrogé. Cependant depuis 1984, il ne pouvait y avoir de jour de la Toussaint férié que par arrêté.
Cette année et au moment de la rédaction de cet article, je ne détiens aucune information sur la publication d’un arrêté faisant du 1er novembre, un jour férié. Un communiqué a cependant été publié par la Primature. Les fêtes qui ne sont ni légales ni nationales ne peuvent être fériées que par arrêté présidentiel. Un communiqué est donc illégal. Le 1er novembre n’a été un jour férié qu’à partir de la loi du 26 juillet 1926 et disparaître probablement avec le code du travail de 1961. Sa disparition de la liste des jours fériés fut définitive avec le Code du Travail de 1984.

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